Série en partenariat avec Future of Good : Comment un organisme montréalais a redéfini son rôle pour aider les aînés en situation de crise durant la pandémie
30 novembre 2020
Le Conseil des aînés et des aînées de Notre-Dame-de-Grâce (CAANDG) jongle avec les répercussions à long terme et la gestion de crise à court terme
Découvrez la deuxième histoire d’une série publiée en partenariat avec Future of Good ! Pour lire la version originale de l’article écrit par Jacky Habib, rendez-vous sur la page de Future of Good (en anglais).
POURQUOI EST-CE IMPORTANT?
À l’heure où la pandémie de la COVID‑19 accentue les risques pour les populations vulnérables, les aînés sont confrontés à la pauvreté, à l’insécurité alimentaire et à des problèmes de santé mentale, en plus d’être soumis à un isolement social accru. Un organisme montréalais estime qu’il s’agit d’une question de vie ou de mort pour certains aînés de la communauté. Cet article, écrit par Jacky Habib, est le deuxième d’une série produite en collaboration avec Future of Good.
À 95 ans, Muriel Fishman a traversé de nombreuses épreuves, dont une guerre mondiale et la Grande Dépression.
« La plus grande souffrance que j’ai éprouvée au cours de ma vie est due à la pauvreté. On n’avait ni nourriture ni vêtements. Je portais des bottes en tissus », dit‑elle.
En se rappelant les grands événements mondiaux qu’elle a vécus, Mme Fishman, qui vit à Montréal, déclare ne jamais avoir vu le monde s’arrêter comme c’est le cas depuis le début de la pandémie de la COVID‑19. « C’est incroyable, parce que nous n’avons jamais été confrontés à ce genre de problème. La vie continuait, et les relations aussi. On se rencontrait entre amis, on sortait et on vivait nos expériences, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. C’est le monde à l’envers », ajoute-t‑elle.
Mme Fishman est une lectrice assidue, et c’est en se plongeant dans la lecture qu’elle parvient à passer le temps depuis le début de la pandémie. Bien qu’elle tire une certaine fierté de la bonne santé qu’elle maintient, elle fait appel à des organismes comme le Conseil des aînés et des aînées de Notre-Dame-de-Grâce (CAANDG) pour l’aider à faire ses courses et à se rendre à ses rendez-vous chez le médecin.
« Je dois me débrouiller toute seule. Mis à part le CAANDG, je n’ai personne sur qui compter », dit Mme Fishman, qui vit seule et dont aucun membre de la famille ne vit au Canada.
« Les bénévoles me conduisent à mes rendez-vous et me ramènent chez moi. J’en suis très reconnaissante. Ils mettent tout en œuvre pour aider les personnes isolées ou vivant seules, et c’est extraordinaire », poursuit-t‑elle.
Le CAANDG est un organisme communautaire à but non lucratif qui veille à améliorer la qualité de vie des aînés à faible revenu du quartier Notre-Dame-de-Grâce et de l’ouest de Montréal. Depuis plus de quarante ans, l’organisme offre des services qui visent à réduire l’isolement social et les handicaps économiques chez les aînés. Depuis le début de la pandémie de la COVID‑19, il est sollicité plus que jamais, car, contrairement à Mme Fishman, de nombreux membres de l’organisme ont du mal à composer avec l’isolement.
Selon Sheri McLeod, directrice générale du CAANDG, les membres sont également confrontés à des limitations fonctionnelles, comme des problèmes de mobilité et d’ordre cognitif, et se trouvent dans une situation socioéconomique difficile, notamment en raison d’un faible niveau de littératie, de barrières linguistiques et d’emplois précaires. Avant la COVID‑19, les membres se rassemblaient au centre de jour du CAANDG pour manger, faire de l’exercice et échanger avec les autres.
Mme McLeod précise que certains membres vivent dans un tel isolement qu’il faut les encourager à discuter et à interagir entre eux, et qu’ils ne sont pas à l’aise en présence d’autres personnes.
Au tout début de la pandémie, lorsque le CAANDG a dû fermer ses portes à l’instar de nombreux établissements, l’équipe s’est inquiétée des répercussions sur les membres, qui souffraient déjà d’isolement. « Cette fermeture a été source de vives inquiétudes. Les aînés constituent la population la plus à risque. Tout le monde paniquait. On s’est dit qu’on devait faire quelque chose, et vite », dit Mme McLeod.
En quelques jours, le personnel et les bénévoles de l’organisme se sont mobilisés et ont appelé chaque membre afin de prendre des nouvelles et d’évaluer leurs besoins. Le CAANDG compte un total de 600 membres actifs de plus de 50 ans. L’adhésion est gratuite et démocratique.
Selon Mme McLeod, au moins la moitié des membres ayant reçu un appel présentaient des signes de détresse psychologique; ces personnes ressentaient par exemple une grande peur et une anxiété profonde, et regardaient les nouvelles en permanence.
Le degré d’isolement et de peur a eu d’énormes répercussions sur les membres du CAANDG. « Nous avons l’habitude de travailler avec des aînés aux prises avec des difficultés émotionnelles, mais la détresse était telle que chaque semaine, nous recevions un ou deux appels de gens ayant des pensées suicidaires. Nous ressentons une immense responsabilité envers une personne qui nous confie qu’elle n’en peut plus et qu’elle veut en finir. Si nous n’arrivons plus à la joindre par la suite, nous appelons la police immédiatement, car on ne peut pas savoir si la personne est simplement tombée… ou si elle est morte », dit Mme McLeod.
Selon elle, la gestion de tels appels et l’interaction avec des personnes présentant une grande détresse ont été difficiles pour l’équipe du CAANDG, qui a dû travailler de longues heures depuis le début de la pandémie. Certains membres de l’équipe ont également dû se familiariser avec ces questions.
« Il fallait évaluer combien de temps les gens allaient pouvoir tenir le coup. À un certain moment, nous étions tellement épuisés que nous avons dû fermer nos portes pendant une semaine pour reprendre notre souffle », ajoute-t‑elle.
Pour donner un répit à son équipe, le CAANDG a également établi un partenariat avec l’Hôpital général juif de Montréal, dont l’équipe soignante, qui offre des services de télésanté, est outillée pour soutenir les personnes en situation de détresse psychologique. Au total, 60 aînés membres du CAANDG ont eu accès au service de soutien téléphonique en ligne.
Lara Evoy, une consultante pour Garrow&Evoy, qui aide les organismes à mieux saisir et évaluer leur impact social, collabore avec l’équipe de direction du CAANDG depuis plus d’un an. Elle estime que les organismes ont dû surmonter d’énormes difficultés depuis le début de la pandémie. « Ces derniers n’ont presque pas eu de répit depuis des mois. Leurs équipes sont débordées et épuisées. Des membres du personnel doivent prendre un congé parce qu’ils sont malades ou qu’ils ont besoin d’une pause mentale », a informé Mme Evoy.
Le CAANDG a bénéficié d’un accompagnement axé sur la définition de l’impact voulu pendant un an, suivi d’un autre de six mois concernant la mesure de l’impact.
Selon elle, il a été difficile pour le CAANDG de trouver un équilibre entre sa volonté de produire un impact à long terme et la nécessité de répondre à des besoins urgents liés à la crise qui ne s’inscrivent pas dans sa mission de base, par exemple pour aider des membres en situation d’insécurité alimentaire. « La situation est difficile, car le programme et les stratégies mis de l’avant pour atteindre les résultats escomptés ne sont, en grande partie, pas réalisables dans le contexte actuel. L’organisme ne peut pas axer ses activités sur le renforcement du sentiment d’appartenance à la communauté ou sur le réseautage, car les gens ne peuvent pas se rassembler », ajoute-t‑elle.
« J’essaie de mener de front mon travail sur les impacts et mes activités de gestion de la crise », dit Mme McLeod. En plus de superviser l’équipe du CAANDG, elle se consacre au suivi des possibilités de financement d’urgence du gouvernement et des donateurs ainsi qu’à l’adaptation en matière de production de rapports pour les financements actuels.
Outre les appels de détresse, l’équipe a été submergée d’appels concernant des problèmes du quotidien, comme des téléviseurs défectueux. « Pour les personnes à très faible revenu, un téléviseur constitue l’unique source de communication et de divertissement. Elles sont confinées dans leur appartement, sans possibilité de voir leurs amis ou leur famille », explique Mme McLeod.
À l’instar de Mme Fishman, de nombreux aînés qui sont isolés socialement n’ont pas accès à Internet. Même si cette démarche ne s’inscrit pas dans ses fonctions et ses responsabilités habituelles, le CAANDG a fait l’achat de téléviseurs et les a installés chez ses membres afin de les soutenir en cette période d’isolement social sans précédent. Pendant l’été, l’organisme a adopté la même approche lorsqu’il a commencé à recevoir des appels au sujet de climatiseurs défectueux : il a acheté de nouveaux appareils et les a installés chez ses membres. « C’était étonnant de constater l’étendue des situations auxquelles les gens devaient faire face. Elles peuvent sembler banales, mais en pleine pandémie, elles ne sont pas à prendre à la légère », dit Mme Evoy.
Mme Evoy, qui accompagne actuellement 30 organismes, croit que ces exemples démontrent bien la façon dont le CAANDG a rapidement revu son rôle afin de répondre aux besoins des aînés durant la pandémie de la COVID‑19. Lorsque l’équipe a appris que certains membres se demandaient comment ils allaient pouvoir faire l’épicerie alors qu’ils étaient confinés, le CAANDG a su qu’il devait, pour la première fois, lancer un programme de sécurité alimentaire.
L’organisme a obtenu un financement pour établir un partenariat avec une épicerie de Montréal permettant aux membres de commander leur épicerie par téléphone. Il a ensuite appris que certains aînés n’étaient pas en mesure de faire une commande en raison de l’anxiété concernant les aliments ou encore à cause de facteurs liés à la langue ou d’inquiétudes en matière d’alimentation. L’équipe est donc intervenue pour faire le lien entre les membres et l’épicerie. « Nous ne sommes pas un organisme axé sur la sécurité alimentaire. Notre objectif est toujours de mettre fin à l’isolement social, mais je ne sais pas si nous pourrons continuer dans cette voie », dit Mme McLeod. À l’heure actuelle, le CAANDG entend maintenir le programme jusqu’en mars 2021.
Selon Mme Evoy, en plus d’élargir sa gamme de services, le CAANDG continue d’offrir certaines activités de son programme habituel, comme des conseils en matière fiscale, qui représentent une charge de travail importante, mais qui sont essentiels pour la communauté.
Elle considère qu’en temps de crise, les organismes doivent revoir leurs priorités, et que cela se fait intuitivement dans le cas du CAANDG. Mme McLeod continue quant à elle de se concentrer sur la mission de l’organisme qui est de lutter contre l’isolement social. « En ce moment, le sentiment de solitude et d’isolement est vraiment accablant. » Pour y remédier et prendre soin de ses membres les plus isolés, le CAANDG leur a envoyé des colis contenant des articles comme des poupées tricotées à la main et des livres de mots croisés.
« Certaines personnes sont isolées et ont l’impression que personne ne s’intéresse à elles. Puis, elles reçoivent le colis et sont visiblement émues par cette attention qui leur rappelle qu’elles sont importantes », conclut Mme McLeod.