Série en partenariat avec Future of Good : La programmation en ligne n’est peut-être pas accessible à tout le monde, mais cet organisme en a décrypté les rouages
25 mars 2021
Le stratège opérationnel Manu Sharma explique qu’il est crucial que les organismes à impact social qui offrent la majorité de leurs activités en ligne tiennent compte de leur accessibilité.
Découvrez la troisième histoire d’une série publiée en partenariat avec Future of Good ! Pour lire la version originale de l’article écrit par Jacky Habib, rendez-vous sur la page de Future of Good (en anglais).
POURQUOI EST-CE IMPORTANT?
Durant la pandémie, de nombreux organismes sans but lucratif ont transféré leurs activités en ligne, mais sans prise en compte de leur accessibilité ou sans possibilité d’offres alternatives, certaines personnes se sont retrouvées exclues de ces activités.
Lorsque les activités quotidiennes se sont transposées en ligne en raison de la pandémie de coronavirus, il a été pratiquement impossible pour des personnes comme John de poursuivre leur vie d’avant la pandémie.
Pendant vingt ans, John, qui se déplace en fauteuil roulant et a des difficultés à communiquer, a eu recours à un tableau installé sur le plateau de son fauteuil comprenant une variété de mots l’aidant à communiquer . À l’OSBL Ottawa Foyers Partage (OFP), un organisme qui travaille avec des adultes aux prises avec des handicaps multiples et qui vient en aide à John, des membres de l’équipe ont tenté pendant des années de le convaincre de passer à un tableau numérique.
Durant la pandémie, John s’est retrouvé seul, incapable d’avoir des rencontres en personne et de se servir de la technologie pour communiquer.
« Il était très social et adorait sortir avec ses amis, ce qui n’était plus possible », explique Steve Crane, un animateur chez OFP. « Il a régressé à la maison, car la technologie n’était pas là pour le soutenir. »
Pendant les confinements, John a commencé à avoir des rencontres hebdomadaires avec Steve. Celui-ci avait créé un site internet qui reproduisait le tableau de John. Une tablette a été installée sur le plateau du fauteuil de John pour qu’il puisse accéder au site et cliquer sur les mots de son choix. Les mots pouvaient alors être lus par un logiciel de synthèse vocale, ou bien être copiés et collés pour remplir des formulaires en ligne ou envoyer des messages.
Steve, qui a appris à coder pour concevoir cette solution pour John, dit que ce dernier peut désormais envoyer des courriels par lui-même et que cette solution a eu un impact positif sur sa santé mentale.
« J’ai pu constater un changement dans son état d’esprit », affirme Steve.
OFP a fermé ses portes le 16 mars, quelques jours après la déclaration de l’état de pandémie par l’Organisation mondiale de la santé, mais il a continué à offrir un soutien individuel à des personnes comme John, qui en avaient besoin et qui étaient à l’aise avec des rencontres en personne.
« Comme bien d’autres dans notre secteur, nous avons dû cesser nos activités communautaires », explique Lindsay Gillis, superviseure de programme chez OFP. « Nous nous sommes tout de suite tournés vers une programmation virtuelle, mais nous avons aussi rapidement compris qu’il y avait un nombre important de personnes handicapées qui n’avaient pas accès à la programmation et qui étaient laissées à elles-mêmes. »
Un an plus tard, OFP continue d’offrir ses programmes sociaux et technologiques, mais principalement en ligne pour s’adapter à la « nouvelle réalité ». Les membres du personnel, comme Lindsay, se sont efforcés de créer une programmation qui soit réellement accessible à la clientèle diverse de l’organisme.
Des obstacles à la programmation en ligne
Certaines clientes et clients d’OFP ont besoin de « solutions rapides » pour accéder à la programmation en ligne de l’organisme, par exemple qu’un membre de l’équipe les aide à configurer une adresse courriel ou des fonctions d’accessibilité comme la commande vocale sur leur appareil. D’autres ont cependant des besoins plus complexes.
« Certains obstacles sont considérables et il faut du temps pour faire des recherches et trouver ce qui pourrait leur convenir », affirme Lindsay.
Selon elle, les participantes et participants qui ont des handicaps physiques ou cognitifs éprouvent des difficultés pour utiliser seuls des appareils technologiques. D’autres personnes sont confrontées à des obstacles comme l’achat d’un appareil et les coûts souvent élevés qui sont requis pour l’adapter à leurs besoins.
L’été dernier, des membres de l’équipe ont pu rencontrer des clientes et des clients à l’extérieur, mais le retour du temps froid a éliminé cette option et posé un défi supplémentaire. « Les personnes handicapées sont encore laissées pour compte à certains égards », explique Lindsay. « Grâce à ce service, elles se sentent moins isolées et peuvent garder contact avec des amis, de la famille… et leur communauté. »
Certains clientes et clients d’OFP se sont sentis particulièrement seuls durant la pandémie, et n’ont pas quitté leur domicile depuis 1 an pour des raisons de santé. « Vous pouvez imaginer l’ampleur de leur solitude », dit Lindsay.
Même si OFP a transféré sa programmation en ligne, des membres de l’équipe comme Lindsay souhaitaient obtenir un soutien externe pour revoir l’offre et les services de l’organisme en temps de pandémie. Ils ont cherché des opportunités de financement pour rendre cela possible.
En septembre, OFP a reçu du financement d’accompagnement éclair (micro-coaching d’Innoweave pour « trouver comment s’assurer que personne ne soit laissé sans ressources », précise Lindsay.
OFP a alors pu bénéficier d’un accompagnement de la part de Manu Sharma, un stratège opérationnel qui offre du coaching aux organismes à impact social.
Consultant basé à Ottawa, Manu a commencé à aider OFP à rendre ses services accessibles alors que sa capacité à offrir un soutien en personne était limitée.
« Il ne s’agit pas seulement de transférer des activités en ligne », explique Manu. « Il faut aussi penser à l’accessibilité pour que ces programmes puissent être utilisés. »
Selon lui, c’est un élément important à considérer, surtout lorsqu’on pense au groupe démographique desservi par les organismes sans but lucratif. « Si vous travaillez avec des groupes racisés ou des communautés vulnérables, vous devez tenir compte du fait que ce n’est pas tout le monde qui a un téléphone intelligent ou une tablette. Je sais que certaines personnes pensent que ce n’est pas un problème à Ottawa, mais ça l’est. »
Concevoir une nouvelle programmation pour une « nouvelle réalité »
Pour répondre à ces besoins, OFP a mis sur pied avec l’aide de Manu Sharma le programme Les connexions partagées. Cela impliquait de coacher Lindsay et le reste de l’équipe sur le modèle opérationnel de l’organisme, la valeur offerte à la clientèle et le besoin d’une nouvelle programmation. Celle-ci fournit de l’assistance en personne ou à distance à la clientèle d’OFP, c’est-à-dire des adultes handicapés, en cas de problèmes avec du matériel informatique ou des logiciels. En réglant les problèmes techniques de ce genre, le personnel d’OFP habilite sa clientèle. Les personnes peuvent ainsi utiliser leur appareil pour assister à des rendez-vous médicaux, magasiner en ligne et effectuer d’autres tâches quotidiennes importantes qui doivent désormais se faire en ligne en raison de la pandémie.
En plus d’avoir créé Les connexions partagées, OFP a aussi transféré en ligne la majeure partie de sa programmation sociale qui se faisait auparavant en personne. L’organisme propose des soirées de bingo virtuelles, des cours de cuisine et d’artisanat, ainsi que des séances de danse et de mouvement.
L’organisme pense que cette nouvelle programmation sociale se poursuivra lorsqu’il sera prudent de reprendre sa programmation en personne. Cela permettra d’offrir du soutien technique et numérique à des adultes handicapés, surtout que certains aspects de la vie quotidienne pourraient demeurer virtuels après la pandémie.
Après l’introduction du programme Les connexions partagées, d’autres organismes d’Ottawa, y compris la Bibliothèque publique d’Ottawa et Service Coordination Soutien, ont communiqué avec OFP pour discuter de collaborations et de recommandations afin de soutenir plus d’adultes handicapés qui éprouveraient des problèmes d’accessibilité.
Aujourd’hui, plusieurs organismes de la ville qui proposent une programmation en ligne et qui ont remarqué un déclin de participation parmi les personnes faisant face à des obstacles d’accessibilité, collaborent avec OFP pour éliminer ces obstacles.
« Nous sommes très ouverts pour partager ce qui a fonctionné et ce qui n’a pas fonctionné », affirme Lindsay.
OFP a cessé d’offrir le programme ComputerWise durant la pandémie, celui-ci étant réalisé en personne. La majorité du soutien technique actuellement offert par l’organisme se fait sur une base individuelle, ce qui est toutefois moins accessible sur le plan financier. Bien que le travail d’OFP soit subventionné, une partie de la clientèle paie des frais pour prendre part aux différents programmes.
De plus, selon Lindsay, un des problèmes de la programmation en ligne est qu’elle ne permet pas d’offrir du répit aux personnes soignantes ou aux proches aidants, contrairement à la programmation en personne qui leur donnait un peu de repos.
Cependant, OFP a obtenu du succès en coordonnant ses efforts avec d’autres organismes. Par exemple, lorsque les clientes et clients d’OFP ont des questions techniques d’ordre général, elles sont renvoyées à l’organisme Cyber Seniors. Celui-ci aide les aîné.es à utiliser des outils technologiques et leur offre actuellement de l’assistance pour prévoir leur rendez-vous de vaccination contre la COVID-19. Pour ce qui est des problèmes d’accessibilité toutefois, OFP continue de s’en occuper à l’interne.
Selon Lindsay, le soutien centré sur les personnes qu’offre l’organisme joue un rôle clé dans la configuration de sa programmation. « Ce n’est pas à nous de décider ce dont elles ont besoin. Ce sont elles qui font face à des problèmes et des obstacles, alors c’est très important d’obtenir de l’information en cours de route, puisque les problèmes peuvent varier d’une personne à l’autre. Ce n’est pas tout le monde qui est confronté à la même chose, ce qui veut dire que la même solution ne fonctionnera pas pour tout le monde. »
Au moment de mettre le programme sur pied, Manu Sharma a aidé OFP à créer des outils de rétroaction pour qu’il puisse répondre aux besoins de sa clientèle. Un questionnaire a permis de demander aux clientes et clients de parler de leur expérience durant la pandémie, ainsi que de leur capacité à socialiser et à entrer en contact avec d’autres personnes virtuellement.
Au lieu de généralisations ou de suppositions, Lindsay dit que l’organisme leur a « directement demandé des renseignements » sur leurs capacités, par exemple la possibilité de remplir un formulaire en ligne ou de faire un appel, afin de pouvoir leur offrir le soutien requis.
OFP a continué à travailler avec Manu Sharma une fois le financement d’accompagnement octroyé par Innoweave terminé. L’organisme a puisé dans son budget de fonctionnement, car comme le précise Lindsay, il est très utile d’obtenir un point de vue externe sur une stratégie qui fait du soutien centré sur les personnes une priorité.
Des défis demeurent, mais de nouveaux services sont possibles
Les solutions comme le programme Les connexions partagées améliorent l’accessibilité, mais des obstacles comme les coûts liés au matériel informatique et aux logiciels continuent de représenter des défis importants. La pandémie est venue amplifier ces derniers, puisque la clientèle d’OFP n’avait plus accès aux ordinateurs et autres appareils technologiques de l’organisme.
« Nous ne pouvons pas tout régler », dit Lindsay. « Nous cherchons encore comment contourner ces obstacles. »
L’organisme songe maintenant à créer une bibliothèque de prêt d’appareils technologiques accessibles à faible coût ou même gratuitement pour aider sa clientèle à surmonter les obstacles d’accessibilité engendrés par la pandémie, puisque la société dépend de plus en plus de la technologie.