Notes de terrain sur la COVID-19 n° 2 : Communauté de pratique du parcours Impact et clarté stratégique
22 juillet 2020
Cet article fait partie d’une série occasionnelle offerte par la communauté de pratique des coachs du parcours Impact et clarté stratégique d’Innoweave. Notre travail auprès d’organismes à but non lucratif et d’organismes à vocation sociale partout au pays nous amène à apprendre ce qui change et ce qui reste inchangé et à être au fait d’idées nouvelles sur la façon de mieux reconstruire suite à la pandémie.
Billet de blogue n°2 : Inégalités, précarité et faiblesses systémiques
La crise de la COVID-19 a fait ressortir les problèmes d’inégalité, de précarité et de racisme systémique. Elle a aussi mis en évidence les problèmes structurels de l’indispensable secteur des organismes à but non lucratif, problèmes qui sont exacerbés par le manque de réserves financières et d’investissements de capitaux. La vitesse avec laquelle nos gouvernements et d’autres bailleurs de fonds ont réagi donne espoir à certains leaders que nous avons les ressources et la volonté politique nécessaires pour faire face aux problèmes systémiques, y compris aux changements climatiques. Pour reconstruire mieux, il faudra cependant trouver des solutions globales qui règlent plus d’un problème à la fois et qui s’attaquent aux entraves structurelles empêchant de répondre aux nouveaux défis à mesure qu’ils se présentent.
Dans notre dernier billet « notes de terrain », nous avons traité de certaines étapes de changement que doivent vivre de nombreuses organisations : gérer la crise et protéger l’organisation, puis s’adapter et planifier l’avenir. Nous avons précisé que pour bien des organisations, ces étapes ne seraient pas consécutives et ne progresseraient pas au même rythme.
Le présent billet souligne l’importance pour les organisations de passer à une approche qui vise à « repenser et rebâtir » et d’éviter de rester dans le statu quo en espérant que la situation reviendra à la normale. Nous y présentons aussi des apprentissages clés observés sur le terrain quant à de nouvelles façons d’aller de l’avant et de planifier l’avenir.
Résumé des défis qui se posent et des étapes pour aller de l’avant
Les organisations font face à de nombreux défis sur différents plans. Un sondage effectué en avril dernier par Imagine Canada montre que le revenu de 75 % des organisations ayant répondu est en baisse, une proportion qui représente le double par rapport aux répercussions du ralentissement économique de 2008. Par ailleurs, 55 % des organisations qui ont répondu au sondage s’attendent à devoir procéder à de nouvelles mises à pied ou à des mises à pied supplémentaires. Pour certaines organisations, comme celles qui répondent aux crises en matière de santé et de sécurité alimentaire, la demande est en hausse alors que les revenus restent les mêmes. D’autres sont confrontées à des fermetures de programmes et ne savent pas si elles pourront maintenir leurs activités. Certaines organisations ont fait en sorte de rendre leurs programmes et leurs soutiens accessibles en ligne, ce qui a entraîné des défis techniques et des préoccupations juridiques difficiles à régler sans réserve financière ni infrastructure technologique.
Dans notre dernier billet, nous avons souligné l’avantage pour les leaders de réitérer les valeurs fondamentales de l’organisation et de repenser et rebâtir en se concentrant sur l’impact voulu. Une fois en place les efforts de réponse initiale à la crise, les organisations qui avaient pris le temps de réfléchir à la façon dont leur situation interne et externe avait changé (et de clarifier ces changements) ont été en mesure de progresser vers la transformation de leur travail à moyen terme.
Étant donné que bon nombre de leaders affirment que le retour à la « normale » est peu probable, les organismes à but non lucratif ont maintenant les objectifs suivants :
- transformer leur façon de travailler, tant à l’interne qu’à l’externe; moduler les bonnes solutions, en collaboration avec des partenaires de tous les secteurs de nos communautés;
- comprendre, mesurer et communiquer l’impact qu’ils exercent: raconter leur histoire au sein de nos organisations et à l’extérieur de celles-ci d’une manière convaincante qui stimule l’innovation et la collaboration et qui attire l’investissement.
Transformer et mettre à l’échelle
À mesure que les leaders examinent comment adapter leur organisation et se préparer pour l’avenir, il est de plus en plus évident que le redressement nécessitera une transformation de la façon dont le travail est fait. Établir des relations avec de nouveaux partenaires et fournisseurs de services et diversifier les modèles de revenus sont des moyens d’aider à gérer les coûts, à créer des solutions au moyen de l’innovation et à attirer des investissements. Des services partagés et des fusions sont envisagés afin de tirer le maximum des ressources qui sont restreintes. Les solutions et approches nouvelles capables de répondre à la fois à plusieurs problèmes sociaux, économiques et environnementaux exigeront du leadership et imposeront des choix difficiles. Pour renforcer la résilience et bâtir un système souple et novateur, des processus de planification plus rapides et plus efficaces seront nécessaires. Le design même des organisations ainsi que la pratique en matière de ressources humaines supposeront flexibilité et innovation.
À titre d’exemple, l’organisme The Atmospheric Fund axe ses efforts sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans la région du Grand Toronto et de Hamilton : les immeubles produisent 50 % des GES dans les villes. Son expérience dans les projets de modernisation peut être adaptée au redressement qui s’impose, en réunissant les fonds et l’expertise nécessaires pour créer de bons emplois ayant des impacts positifs mesurables sur l’environnement et la santé.
La PDG de The Atmospheric Fund, Julia Langer, a souligné que la distanciation physique sera une réalité des usagers des transports en commun. Pour The Atmospheric Fund, la collectivisation du transport est importante afin que les activités liées aux infrastructures à intensité carbonique, comme la construction et le revêtement de routes, puissent être réduites grâce à des options de transport de rechange, par exemple des réseaux de pistes cyclables. L’intégration de préoccupations liées à la santé et au climat à des solutions pour la COVID-19 qui créent des emplois pourrait régler plusieurs problèmes à la fois.
L’investissement dans le redressement nécessitera la participation de partenaires intermédiaires qui ont des idées prometteuses. Parallèlement, The Atmospheric Fund communique avec des titulaires de subvention pour comprendre leurs besoins et pour revoir les priorités des investissements en fonction d’idées visant à résoudre plus d’un problème.
Champions pour la vie, un organisme de bienfaisance qui se consacre à aider les enfants à développer leur culture de l’activité physique, est un autre exemple de transformation et de mise à l’échelle. Pour cet organisme, la transformation a été d’accélérer les plans de transition vers des services en ligne afin d’atteindre plus d’élèves, puisque le travail en personne dans les écoles du Québec n’est plus possible.
Bien que la majorité des organismes à but non lucratif continuent leurs activités, 26 % d’entre eux ont fermé leurs portes. Les programmes de 46 % des organismes à but non lucratif ont été modifiés ou réduits. Seulement 11 % de ces organismes ont maintenu leurs activités pendant la crise, et beaucoup de ceux-ci servent les personnes les plus vulnérables de notre société.
Augmenter plutôt que réduire les activités
L’Elizabeth Fry Society of Greater Vancouver est un bon exemple. Cet organisme soutient certaines des populations les plus vulnérables de notre société : les femmes, les filles et les enfants à risque qui ont affaire au système de justice ou qui doivent naviguer dans celui-ci. Il offre plus d’une vingtaine de programmes qui visent à briser les cycles liés à la pauvreté, à la dépendance, à la santé mentale, à l’itinérance et au crime.
La PDG de l’Elizabeth Fry Society, Shawn Bayes, explique que la COVID-19 a placé un plus grand nombre de personnes en situation fragile qui compromet leur sécurité. La crise de la COVID a accentué les risques de violence, de faim et d’itinérance, et une deuxième vague pourrait les aggraver encore plus. Pendant la crise, l’organisme a augmenté ses activités plutôt que de les diminuer : il a servi plus de repas à plus de personnes et a accru le nombre de lits de refuge de 300 %. Le fait de ne disposer pour ce faire que d’un budget limité et de devoir aussi assurer la sécurité des clients et du personnel a amené les dirigeants de l’organisme à considérer leurs activités d’un œil nouveau. La chaîne d’approvisionnement alimentaire en est un exemple : l’Elizabeth Fry Society modifie ses processus d’approvisionnement et d’entreposage et établit de nouveaux partenariats afin de nourrir un plus grand nombre de personnes.
Revoir sa théorie du changement
Toutes ces organisations ont réitéré leurs principaux objectifs d’impact et leurs valeurs fondamentales et ont travaillé pour adapter leur théorie du changement (la stratégie qui leur permettra d’atteindre leurs objectifs) pour tenir compte du nouveau contexte dans lequel elles opèrent maintenant et prévoient opérer à l’avenir.
La planification de scénarios est l’un des outils qui peut aider les organismes à but non lucratif à comprendre le nouveau contexte et les possibilités pour atteindre leurs objectifs. Cet outil [en anglais], conçu par The Bridgespan Group, aide les organisations à prendre des décisions en période de grande incertitude. Les organisations doivent commencer par déterminer les principaux facteurs de risque des programmes, des activités et du financement, puis évaluer ces facteurs en ce qui a trait à leur niveau de risque et à leur importance par rapport aux objectifs principaux (p. ex. la demande des clients, le personnel nécessaire, les revenus des contrats, les subventions de base). Elles peuvent ensuite se concentrer sur les risques les plus importants et concevoir un ensemble d’options pour les gérer.
Raconter une histoire d’impact convaincante
À mesure que les organisations s’adaptent, il devient plus important pour elles de comprendre et de mesurer leur impact afin de mieux gérer leurs ressources, de trouver de nouvelles solutions et d’avoir une histoire convaincante à raconter. Les stratégies de mesure de l’impact qui documentent l’impact économique et environnemental d’une initiative ou d’une organisation ainsi que ses progrès vers l’équité et l’égalité, peuvent plus facilement démontrer comment les investissements rejaillissent dans les communautés et dans la société en général. Il n’est pas nécessaire de disposer d’une évaluation d’impact coûteuse menée par un tiers sur trois ans pour pouvoir raconter une histoire convaincante. L’histoire peut être une reformulation de vos valeurs fondamentales, de l’impact que vous souhaitez avoir et des aspects les plus convaincants des stratégies que vous utilisez pour réaliser cet impact. Les récits qui touchent le cœur et l’esprit en illustrant votre adaptation au contexte de la pandémie ou qui racontent ce que vous avez appris et comment vous modifiez et améliorez votre réponse sont des témoignages bienvenus en ce moment. Prendre le temps de relater des histoires différentes à des publics ciblés vous permettra de transmettre les messages clés aux bonnes personnes en leur faisant savoir de façon claire comment elles sont invitées à participer ou à répondre.
Habitat pour l’humanité Canada, par exemple, peut mesurer son impact en fonction du nombre de maisons qu’il construit, mais il s’agit là d’une mesure indirecte qui ne rend pas compte du changement global qui s’ensuit dans les communautés pour les nouveaux propriétaires et les bénévoles ainsi que, plus généralement, pour l’activité économique inclusive. L’innovation dans la conception et la construction de maisons peut hausser la barre en matière d’impact environnemental et de durabilité dans les communautés en général. Habitat est en mesure de montrer l’impact global de son travail et de raconter une histoire convaincante qui stimule l’investissement de la part des sociétés et des particuliers. Les municipalités et les autres ordres du gouvernement peuvent mettre les terrains excédentaires à profit dans une initiative qui a démontré des avantages économiques et environnementaux.
La capacité de mesurer et de communiquer l’impact aide à attirer l’investissement. Plus de gouvernements de tous les ordres et plus de sociétés cherchent de nouvelles façons d’investir dans ce que l’on appelait le triple résultat : résultats pour les gens et pour la planète et résultats financiers. Plus récemment, l’on parle de bâtir des sociétés et des systèmes résilients ou de résoudre plus d’un problème à la fois. Les organisations qui peuvent mesurer leur impact à l’échelle locale et à l’échelle du système et démontrer de quelle façon l’investissement servira aux gens, créera des emplois et contribuera à lutter contre les changements climatiques attireront des investissements qui aideront à renforcer la résilience dans notre société.
Communiquer de nouvelles stratégies visant à résoudre plus d’un problème à la fois
Les bailleurs de fonds, particulièrement ceux du secteur privé qui ont la possibilité d’investir dans des idées nouvelles, transforment la façon dont ils s’engagent auprès de titulaires de subvention. Reconnaissant la contribution essentielle que les organismes à but non lucratif apportent à la société canadienne, plus de bailleurs de fonds cherchent des moyens d’appuyer la mission et l’influence globale des titulaires de subvention novateurs et d’ investir des fonds là où se trouvent déjà l’énergie et les idées. La capacité de démontrer et de communiquer le potentiel des idées nouvelles ou le besoin grandissant de services directs pour les personnes les plus vulnérables nous aidera tous à apprendre davantage, à mieux collaborer et à accomplir plus. Les leaders à qui nous parlons sont fatigués, mais ils sont motivés par les possibilités et déterminés à faire en sorte que les dépenses de relance à court terme préparent le terrain à long terme. Les bailleurs de fonds de toutes sortes sont disposés à soutenir des organisations dont l’histoire est convaincante et dont l’impact a permis de résoudre plus d’un problème à la fois.
Beaucoup d’idées circulent en ce moment. De nombreux réseaux partagent des outils, compilent des ressources et organisent des discussions par webinaire. Innoweave, notamment, est un réseau qui offre ces formes de soutien. Innoweave offre également du mentorat et de l’accompagnement aux organisations qui s’intéressent à la planification de scénarios, aux théories du changement, à la diversification financière, au design des organisations et aux changements de politiques en matière de ressources humaines, ou qui désirent établir la mesure d’impact qui aide les organisations à raconter leur histoire. Un soutien est offert à tous les organismes à but non lucratif qui souhaitent discuter de leurs défis et de leurs options et mettre à profit leurs nouvelles idées.
Nous continuerons de présenter des notes de terrain qui témoignent des façons dont des leaders et leurs organisations posent ces questions et y répondent. Surveillez notre prochain billet au cours de l’été et n’hésitez pas à nous faire part de vos points de vue et de vos idées. Faites-nous connaître votre propre histoire inspirante ou votre propre défi d’adaptation, de leadership et d’impact. Nous aimerions apprendre davantage sur ce que vous vivez.